INTRODUCTION
L’histoire de l’anesthésie militaire se confond avec celle de l’anesthésie civile, les différents progrès enregistrés étant souvent appliqués par l’une et par l’autre. La chirurgie de guerre, auparavant essentiellement basée sur les amputations, a progressé de manière spectaculaire à partir de la seconde moitié du 19° siècle grâce à l’anesthésie. Les chirurgiens puis les médecins militaires ont pris une part non négligeable à cette évolution.
PLAN
Après un bref rappel des débuts de l’analgésie sur le terrain, l’étude de l’évolution de l’anesthésie au cours des conflits armés s’intéressera au Service de Santé de l’armée française au cours de la guerre de Crimée, des deux guerres mondiales, puis seront abordés les conflits en Indochine, en Algérie, au Tchad et plus récemment au Rwanda ou en ex-Yougoslavie. L’expérience des services de santé étrangers sera également traitée au travers des enseignements de la guerre des Malouines et des conflits israélo-arabes.
HISTORIQUE
1- De tout temps, la souffrance des blessés sur le champ de bataille a préoccupé les médecins militaires mais on ne peut véritablement parler d’anesthésie en temps de guerre qu’à partir du milieu du 19° siècle. Jusque là en effet, seule la rapidité et la dextérité du chirurgien pouvaient limiter la douleur des blessés solidement maintenus, parfois après absorption de laudanum, ou le plus souvent d’eau de vie [1].
2- Les premières utilisations de l’anesthésie par les chirurgiens militaires français en campagne datent en fait de la guerre de Crimée (1854-56) où Scrive précise les conditions d’utilisation du chloroforme administré à l’aide d’une simple compresse roulée en entonnoir dans un cornet en carton tronqué au sommet, inventé par un chirurgien de Brest, Auguste Reynaud [2], puis à l’aide de l’appareil de Charrière [3].
3- La première guerre mondiale provoqua de nombreux progrès en particulier la création de formations de traitement de l’avant réduisant les délais préopératoires. La première guerre mondiale voit apparaître également aux cotés du chirurgien , qui jusque là pratiquait lui-méme l’anesthésie avant d’opérer son malade, un aide anesthésiste qui utilise alors le mélange éther-chloroforme ou le chlorure d’éthyle à l’aide du célèbre masque d’Ombrédanne apparu en 1908 [1].
4- L’organisation du service de santé à la fin de la grande guerre fut globalement reconduite en 1939. Les véritables évolutions datent en fait de 1943 où les premiers médecins anesthésistes français, formés en Angleterre ou à Alger, utilisent au sein du Corps Expéditionnaire en Italie puis en Provence le penthotal intraveineux pour les anesthésies de courte durée et le N2O en circuit fermé à l’aide de l’appareil de Heidbrink pour les AG prolongées sous intubation [1].
5- L’engagement en Indochine vit le remplacement de l’hôpital chirurgical avancé (HCA) par des formations plus légères, les antennes, qui jouèrent un rôle essentiel dans cette guérilla. Il n’existait pas en Indochine de médecin anesthésiste dans ces formations militaires. Cette fonction était remplie sous la responsabilité du chirurgien par un infirmier ou un dentiste. Les protocoles de l’époque : pentothal intraveineux, éther au masque d’Ombrédanne furent complétés à la suite des travaux de Laborit et d’Huguenard par des techniques de neuroplégie appelées déconnexion neuro-végétative ou hibernation artificielle qui associaient sédation et traitement physiopathologique du choc, tout en permettant une réduction des posologies des agents anesthésique [5].nt>
6- Lors du conflit algérien, la présence d’anesthésistes réanimateurs formés au Val de Grâce en collaboration avec leurs camarades du contingent contribuent à une prise en charge efficace des blessés graves. Expérimenté dès 1963 en circuit ouvert au Val de Grâce, le fluothane fut utilisé pour la première fois dans le cadre d’une mission EMMIR en Jordanie en 1970 [1].
7- Lors de la première phase de la guerre du Cambodge en 1970-71, une équipe de chirurgiens militaires français utilise pour la première fois dans ce contexte un nouveau produit, la kétamine [6]. A la méme période, au Viét Nam, l’anesthésie générale réalisée sous intubation endotrachéale en air ambiant démontre ses limites chez le blessé de guerre [7].
8- L’expérience israélienne lors de la guerre du Kippour en 1973 met en évidence également l’intérét de la kétamine dans les soins occasionnés par les nombreux brà »lés qui représentaient 10% des blessés, essentiellement les équipages de blindés lors d’explosion de missile antichar [8].
9- Le conflit des Malouines en 1982 a permis d’utiliser avec succès sur le terrain un appareil d’anesthésie de campagne tri-fonctions qui comprenait deux vaporisateurs (halothane et trichloréthylène) montés en série sur un circuit de Laerdal, constituant un circuit ouvert permettant à l’air de servir de gaz vecteur aux gaz anesthésiques avec possibilité d’adjonction d’oxygène [9].
10- Les différents conflits qui se sont succédés au Tchad depuis l’Opération Tacaud en 1979 ont permis de démontrer l’intérét d’un médecin anesthésiste dans ce contexte par la diminution de la mortalité apportée par sa présence. Bernard-Catinat utilisa avec succès une méthode d’obturation oesophagienne par sonde de Foley dans la prévention du syndrome de Mendelson ou méthode de Setbon [10] ; les conditions climatiques génèrent l’utilisation des halogénés et du N2O [11]. Plus tard, la pénurie d’oxygène conduisit à l’utilisation de l’O2 liquide réservé aux pilotes de chasse et au développement des extracteurs d’oxygène [12].
LES CONFLITS RECENTS
Depuis quelques années, le service de santé a été engagé dans des opérations extérieures dont aucune ne se ressemble : guerre du Golfe, Somalie, ex-Yougoslavie, Rwanda, Kosovo. Il s’agit d’opérations militaires ou de missions humanitaires qui sont en fait souvent intriquées. Les antennes, qui représentent un des maillons du service de santé en opération, ont été employées régulièrement au cours des dernières années, dans tous les conflits auxquels a pris part l’armée française. Ce sont des structures très légères, mobiles, d’une capacité réduite en interventions chirurgicales (10 à 12 par 24H) et dont le personnel anesthésiste est composé d’un anesthésiste réanimateur et de 2 IADE .
Le monitorage fait actuellement appel à des appareils de surveillance multi-paramétriques compacts [13]. Outre les moyens utilisés quotidiennement en réanimation préhospitalière, l’accélération du débit de perfusion peut étre obtenu en ayant recours aux tubulures utilisées en urologie, en association avec un dispositif mécanique d’accélération par pompe couplé à un réchauffeur. La récupération du sang peut faire appel aux techniques d’autotransfusion des hémothorax, mais surtout à l’emploi d’appareils de récupération peropératoire avec centrifugation et lavage tels qu’ils ont été utilisés en Bosnie.
L’anesthésie par inhalation utilisant un circuit anesthésique avec une cuve d’halogénés à faible résistance, en association avec un extracteur d’oxygène est possible et pourrait étre améliorée par le remplacement de l’halothane par le sévoflurane. L’approvisionnement en O2 repose sur l’O2 chimique devenu plus fiable après modification des filtres et sur les extracteurs d’O2. Les difficultés d’approvisionnement en gaz médicaux sous pression font préférer aux respirateurs de transport trop consommateurs, des respirateurs électriques de type Monnal D, Drà¤ger EV800, T Bird.
L’anesthésie intraveineuse permet de s’affranchir de ces circuits. L’association kétamine-succinylcholine reste irremplaçable dans les formations de campagne pour l’anesthésie du blessé choqué [14]. Le propofol a certainement sa place du fait de sa réversibilité et son association aux morphiniques ou à la kétamine est potentiellement intéressante. Parmi les morphiniques, le sufentanil semble plus maniable.
L’ALR à l’avant présente probablement autant d’avantages théoriques que d’inconvénients pratiques, en particulier chez le blessé grave. Cependant, les blessures des membres inférieurs restant au premier plan de la pathologie de guerre (40% à Sarajevo), les blocs périphériques sont particulièrement intéressants pour assurer une analgésie post-opératoire, prolongée pendant l’évacuation, sans nécessiter de surveillance particulière [15].
La morphine est toujours l’analgésique de choix pour l’analgésie post-opératoire. Son efficacité est optimisée par l’utilisation de score d’évaluation de la douleur comme l’EVA. Un essai d’analgésie auto-contrôlée par le patient a méme été effectué à l’aide d’une seringue à usage unique au Tchad [16].
Lors de l’opération Turquoise en 1994 à la suite des événements du Rwanda, près d’un quart des opérés étaient des enfants de moins de 10 ans. Une altération majeure de l’état général d’origine carentielle caractérisait l’ensemble de ces enfants. Après réanimation ou réhydratation éventuelle, les techniques utilisées comportaient le plus souvent l’association ALR caudale et anesthésie intraveineuse aux dépends des halogénés [17].
CONCLUSION
En conclusion, depuis la fin de la guerre d’Indochine, les conflits où l’armée française a été engagée ont entraîné un nombre de blessés relativement faible. Ceci a autorisé la mise en oeuvre au profit des combattants d’une technicité d’un haut niveau médical. L’anesthésie en temps de guerre ne devrait donc plus étre forcément synonyme d’anesthésie en situation précaire. Cependant, les circonstances fréquemment défavorables de l’aide humanitaire et surtout l’éventualité de pertes massives d’un conflit de type conventionnel ou non, doivent toujours nous faire garder à l’esprit les grands principes de nos anciens.
Références
– 1. FERRANDIS JJ. Histoire de l’anesthésie militaire française. Médecine et Armées 1999 ; 27 : 253-8.
– 2. BRISOU B, QUINOT JF. L’anesthésie-réanimation au service de la Marine. Cols Bleus 1993 : 2229 : 4-7.
– 3. SCRIVE G. Relation médico-chirurgicale de la campagne d’Orient. Victor Masson, Paris, 1857.
– 4. ARNULF G. Un chirurgien dans la tourmente. Lavauzelle ed, 1981.
– 5. LABORIT H. L’anesthésie potentialisée. Urgences 1994 ; 1-2 : 13-6.
– 6. TOURNIER-LASSERVE C, GALVANI JL, CAZENAVE JC, HESLER N. Intérét de la kétamine en chirurgie de guerre. Médecine et Armées 1976 ; 4 : 506-8.
– 7. TON-DUC-LANG, DOAN-THANG-TAM, DO-TAT-TAO. Emploi de l’air atmosphérique dans l’anesthésie endotrachéale en temps de guerre. Ann Fr Anesthésiol 1972 ; 13 : 549-58.
– 8. BEN-HUR N. Brà »lures de guerre au cours du conflit israélo-arabe de 1973. Coup d’oeil 1975 ; 58 : 26-9.
– 9. JOWITT MD, KNIGHT RJ. Anaesthesia during Falklands campaign, the land battle. Anaesthesia 1983 ; 38 : 776-83.
– 10. BERNARD-CATINAT G. Problèmes posés par l’intubation endotrachéale chez le malade à l’estomac plein, intérét de l’obturation endo-oesophagienne. Médecine et Armées 1982 ; 10 : 841-2.
– 11. AUTEURS COLLECTIFS. Réflexions et suggestions à propos de l’anesthésie-réanimation en temps de guerre et en milieu tropical. Médecine et Armées 1982 ; 10 : 895-902.
– 12. ROUVIER B, VASSEUR P, BONSIGNOUR JP, DIRAISON Y, LE GUERN G. Anesthésie et pénurie de fluides médicaux. In : Communications Scientifiques 1989, MAPAR ed, Paris, pp : 249-56.
– 13. LE REVEILLE R et coll. Quel monitorage pour l’anesthésie générale à l’avant ? Médecine et Armées 1994, 22 : 383-5.
– 14. MION G et coll. Kétamine pour anesthésie intraveineuse exclusive du blessé de guerre. Médecine et Armées, 1997, 25 : 385-90.
– 15. PETIT D et coll. Anesthésie péridurale : sa place en opérations extérieures. Médecine et Armées 1997 ; 25 : 695-700.
– 16. BENEFICE S et coll. Mission en Afrique et analgésie post-opératoire. Médecine et Armées 1999, 27 : 317-22.
– 17. LADAGNOUS JF et coll. Anesthésie pédiatrique et missions extérieures.