Introduction
Contrairement à ce que l’on peut penser, les microbes ne sont pas les seuls responsables des épidémies. L’homme en favorise la venue par les guerres et leurs conséquences sociales, méme par les voyages de groupes.
Les modifications de l’environnement par les activités humaines sont de puissants facteurs d’émergence des épidémies.
Définitions
Une épidémie est une affection bactérienne, parasitaire, virale ou prionique dont le nombre de cas dépasse celui qui est attendu dans un lieu donné. S’il n’y a pas de limite géographique, il s’agit d’une pandémie.
Histoire et géographie
Les grandes épidémies ont marqué l’histoire et l’évolution des sociétés. Moins de dix agents ont fait les épidémies historiques. Depuis 35 ans, une trentaine d’agents infectieux nouveaux sont apparus. On peut espérer en contrôler les effets par des actions concertées.
On ne pourra sà »rement pas les éradiquer.
La peste
Au départ, peste signifie fléau. C’est encore le cas quand on parle de pestes animales, de peste aviaire.
La peste-maladie, connue depuis l’Antiquité, a terrorisé les sociétés jusqu’au XIXe siècle. C’est un bacille aérobie à Gram négatif, Pasteurella pestis, qui en est responsable. Alexandre Yersin le découvre en 1894.
Le rôle de la puce comme insecte vecteur a été démontré par Paul-Louis Simon, en 1898. C’est Xenopsylla chaeopis chez le rat et Pulex irritans chez l’homme. |
La peste d’Athènes [430 av.JC] ou syndrome de Thucydide était probablement le typhus (Rickettsia prowazekii).
La peste Justinienne a perduré de 541à 637. En 542-43, Byzance a perdu plus du tiers de ses habitants.
La grande peste noire du XIVe siècle s’est déclarée au Turkestan, en 1340, quand des nomades ont été bloqués dans des oasis par les Mongols. L’épidémie gagne Caffat en Crimée, en 1346. Des Génois y sont assiégés. Ils s’en échappent, mais contaminent Constantinople, la Sicile puis Marseille en 1348 et enfin l’Europe toute entière et peut-étre au delà . En trois à quatre ans, la peste a entraîné 25 millions de morts, entre le tiers et la moitié de la population européenne. Le manque de main d’œuvre a conduit à l’abolition du servage, à une diminution de la toute-puissance du féodalisme et à l’émergence des structures urbaines.
Il y a eu d’autres épidémies : Barcelone en 1590, Milan en 1630, Londres en 1665, Marseille en 1720 et la peste des chiffonniers à Paris en 1920.
à€ l’époque moderne, l’Egypte, le Vietnam, l’Inde et Madagascar sont encore victimes de la peste.
La lèpre
La lèpre, déjà citée dans la Bible, a été décrite dans l’Antiquité gréco-romaine. Elle réapparaît en Europe autour de l’an mil. La terreur qu’elle inspire conduit à déporter les lépreux dans des maladreries, à l’extérieur des villes (Les Chabannes, Chabanais). Le diagnostic, établi par un tribunal, faisait du « ladre » un mort-vivant après la separatio du corps des vifs.
Elle est due à Mycobacterium leprae. Les lésions apparentes sur leur corps faisaient des lépreux des réprouvés, possédés du Diable. Ils ne méritaient aucune compassion.
Sans raisons apparentes, l’épidémie qui touchait l’Europe s’est calmée au cours du XVIe siècle.
La diphtérie
Elle semble avoir été décrite dès le Ve siècle av. JC. C’était la toux de Périnthe. Reconnue au XVIe s. comme maladie autonome, sa clinique ne sera précisée qu’au début du XIXe siècle.
Elle est due à Corynebacterium diphteriae La complication la plus grave, le croup, ne sera traitée par la trachéotomie qu’en 1826, par Pierre-Fidèle Bretonneau.
L’évolution épidémique sera enrayée par la sérothérapie en 1890 et par la vaccination en 1924. La désagrégation du système soviétique, la non-vaccination, ont fait réapparaître la maladie depuis 1980. Une flambée épidémique a fait des milliers de morts, en 1994, en Russie et en Ukraine.
La syphilis
La syphilis ou grosse vérole apparaît sur le mode épidémique, en Europe, à la fin du XVe siècle. La question de son origine américaine fait encore débat.
Après la lèpre, dont l’origine vénérienne avait été discutée, la syphilis est clairement et dès le début rattachée aux rapports sexuels, d’où ses connotations sociales et religieuses.
Le traitement est fondé d’abord sur les vertus du bois de gaïac. Ensuite, les onguents mercuriels ont été utilisés. Assez toxiques, ils entraînaient une forte sudation. Ils faisaient « suer la vérole ». Un traitement efficace ne sera disponible que dans les années 1950. Il est fondé sur l’action bactéricide de la Pénicilline contre le Treponema pallidum.
Le choléra
Pour Galien [130-200], sous Marc Aurèle : « Le choléra est une affection suraiguà« , d’une extréme gravité, qui déprime rapidement le malade du fait de vomissements violents,d’une diarrhée profuse et de sécrétions abondantes ». Choléra = écoulement de bile (???? et ???).
C’est une diarrhée joliment nommée Trousse-Galant à l’époque classique. Le choléra est transmis par l’eau de boisson et par les mains sales. Les peuples du tiers-monde se saluent sans se serrer les mains. Les boissons chaudes [plus de 60°C], comme le thé, sont en général stériles.
L’agent causal est un bacille aérobie à Gram négatif : Vibrio cholerae 01, Robert Koch, 1881, Vibrio cholerae 01, El Tor, 1960, Vibrio cholerae 0139, Bengale, 1992.
Endémique dans les deltas tropicaux, cette maladie est devenue épidémique par l’effet du commerce naval, par l’augmentation générale des transports. Les invasions armées, le manque d’hygiène, les camps de personnes déplacées, les pèlerinages et surtout celui de La Mecque, favorisent les épidémies.
Il quitte Calcutta en 1817, gagne la Perse en 1821. Moscou est atteint en 1830. Paris compte 13 000 morts en 1832, 20 000 en 1849. Il y aura six pandémies jusqu’en 1923. Le tiers-monde est touché chaque année, surtout au Bengale. Pourtant, il existe depuis 40 ans un remède efficace, la solution de réhydratation de l’OMS.
Les évolutions récentes
La grippe espagnole [1918-19] a fait 40 millions de morts, plus que la guerre de 1914-18. C’était une forme de grippe aviaire qui, par mutation, était devenue transmissible d’homme à homme.
Le SIDA, virus à ARN, apparaît en 1983. Il fait 3 000 morts chaque jour. Il a déjà tué 25 millions de personnes, 95% en Afrique et en Asie du Sud-Est.
Les maladies émergentes touchent souvent les pays pauvres.La situation africaine en est un triste exemple.
Diarrhées à rotavirus [1973], virus Ebola [1976], maladie de Lyme [1982], hépatite C [1989], grippe aviaire H5N1 [1997], SRAS [2003], Chikungunya [2005]…
Conclusions
Une notion commence à apparaitre que ce sont les sociétés humaines et leurs choix stratégiques qui entraînent l’apparition de vagues épidémiques.
Sur 31 agents infectieux nouveaux depuis 1972, 23 [74 %] sont des virus. La médecine préventive à l’échelle mondiale, sous l’égide de l’OMS, est souvent la seule parade.
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