La première révolution biomédicale :
de Laennec et Bichat à Claude Bernard ou de l’auscultation cardiaque à la physiologie et la médecine expérimentale.
James Blundell est considéré par le monde anglo-saxon comme le premier médecin expérimentateur moderne de la transfusion sanguine. Pour certains auteurs il aurait pratiqué l’autotransfusion principalement chez la femme lors d’hémorragie de la délivrance, pour tous les historiens il a pratiqué des
expérimentations d’autotransfusion chez l’animal dans des protocoles d’exsanguination-retransfusion.
Il est né à Londres le 27/12/1790, neveu du Dr John Haighton, anatomiste et physiologiste, il est diplômé à Edimbourg en 1813, il se forme en physiologie expérimentale et en « midwifery » soit l’art des sage-femmes avant de devenir gynécologue et obstétricien. Il intègre parfaitement la démarche du raisonnement de la physiologie expérimentale basée sur la vivisection et l’autopsie vers la médecine expérimentale (les chefs de file étant John Young en Grande-Bretagne et François Magendie puis son élève Claude Bernard en France). Il en déduit une thérapeutique (le reproche des médecins envers les physiologistes était de ne pas conduire vers un traitement ) et invente des appareils pour la transfusion.
Il décrit les phases cliniques qui conduisent par exsanguination l’animal jusqu’à la mort, il déduit que la mort peut étre évitée par transfusion de sang de la méme espèce, que le sang artériel et veineux ont les méme propriétés en transfusion sanguine ; il provoque des embolies gazeuses expérimentales chez l’animal et constate qu’un bolus d’air supérieur à 18,5 ml entraîne la mort de l’animal.
En 1818, James Blundell fit une approche expérimentale de la transfusion chez le chien, analogue à celle de Lower mais dans laquelle il montra l’entité individuelle en matière de sang de chacun des animaux. En effet, tous les chiens transfusés avec tour propre sang survivaient toujours à l’expérimentation. Obstétricien, il mit en pratique, la méme année, le résultat de son expérience et transfusa à une parturiente le sang épanché lors d’une hémorragie de la délivrance. Il réalisa ainsi la première transfusion autologue. Ce fut un succès.?
On comprend effectivement qu’avant la découverte des groupes sanguins par Landsteiner en 1901, seule la transfusion autologue présentait une garantie réelle en matière de transfusion sanguine. D’ailleurs, les imitateurs de Blundell eurent des succès probants
La deuxième révolution biomédicale :
de Pasteur à Landsteiner ou le temps de l’asepsie, de l’antisepsie et des débuts de l’industrie pharmaceutique
C’est dans la deuxième moitié du XIX ème siècle que Eulenburg et Landois (1866) proposèrent de traiter une intoxication au gaz par exsanguino-transfusion. Pour les auteurs allemands Richard von Volkmann chirurgien de Halle pratiqua une première autotransfusion en 1868.La première autotransfusion documentée fut l’oeuvre de Friedrich von Esmarch de Kiel dans une désarticulation de cuisse.
Pour les auteurs anglo-saxons Highmore en 1874, fut le premier à publier un article relatant l’autotransfusion faite également lors d’une hémorragie de la délivrance. Duncan en 1886, autotransfusa à Edimbourg le sang perdu au cours d’une amputation de cuisse. Miller la méme année, rapporte un cas identique pour une désarticulation de hanche infectée sans noter aucune complication. Au XIXème siècle les avantages de la transfusion autologue ne sont pas reconnus en tant que tels .
Dans le dernier tiers du XIXème, 347 transfusions de sang homologues et ? ??129 transfusions de sang d’animaux sont rapportées dans la littérature médicale mondiale.
Au début du XXème siècle, malgré la découverte des groupes sanguins (en 1900 groupes ABO par Landsteiner), la transfusion de sang est exceptionnelle et les accidents sont fréquents.
Durant la première guerre mondiale de nombreuses publications, surtout allemandes, relatent les autotransfusions qui sont faites dans des situations les plus délicates, ainsi par exemple le récit d’un médecin militaire allemand Elmendorf qui transfuse un sang d’ hémothorax à un soldat blessé entre deux tranchées ennemies. Mais la transfusion sanguine homologue se développe à partir de la découverte majeure de Landsteiner durant cette guerre et l’arrivée de techniques de conservation du sang
Mais ce sont indiscutablement les indications obstétricales et gynécologiques qui furent les plus fréquentes durant le début du siècle. Johannes Thies de Leipzig est le premier en 1914 à utiliser l’autotransfusion lors des ruptures de grossesses extra-utérines( 282 cas étaient déjà rapportés en 1931 dans la littérature).
En 1917, Loockwood aux Etats-Unis, fut aussi le premier à utiliser l’autotransfusion lors d’une splénectomie.
En France, la première thèse faite sur l’autotransfusion par P Sec analyse l’expérience d’un chirurgien audois, Cathala, qui a autotransfusé entre1927 et 1932 toutes les ruptures de grossesses extra-utérines qu’il a opéré.
Le premier cas d’autotransfusion différé fut décrit en 1921 par F.C Grant neurochirurgien à l’hôpital universitaire de Pennsylvanie qui préleva 500ml de sang citraté à 0 ,2 %,conservé au réfrigérateur et retransfusé durant l’intervention neurochirurgicale (citrate de sodium utilisé comme anticoagulant par Hustin en 1914 ,Agote en 1915 et Lewisohn en 1915) .
Davis et Cushing, en 1925, rapportent 23 cas d’interventions neuro-chirurgicales majeures faites au Peter Bent Brighman Hospital. L.E. Davis et H.Cushing précisent que grâce à l’efficacité hémodynamique de l’autotransfusion, il est possible d’envisager l’ablation de méningiomes richement vascularisés.
En 1943, Griswold et Ortner présentent 100 cas de traumatismes thoraciques et abdominaux dont 4 traumatismes rénaux réanimés grâce à la méthode. Les chirurgiens cardiaques sont eux-mémes intéressés par cette technique et par exemple Watson C.M et Watson J.R.en 1936, l’utilisent avec succès pour des interventions de chirurgie cardiaque.
En fait, l’autotransfusion per-opératoire a intéressé toutes les spécialités chirurgicales, surtout jusqu’à la deuxième guerre mondiale. Malheureusement l’histoire de l’autotransfusion est rythmée, comme celle de la transfusion, par les grands conflits mondiaux. Elle fut peu à peu abandonnée après la deuxième guerre mondiale, époque du grand développement des banques du sang conservé.
Fig. 1 : Appareil de Davis et Cushing (aspiration par pompe à eau et réchauffement au bain-marie). La filtration : des filtres en mousseline, des éponges naturelles, le plus souvent simplement à travers quelques couches de compresses.
La troisième révolution biomédicale :
Les trente glorieuses ou des antibiotiques aux greffes d’organes.
Le développement des banques de sang conservé et leur puissant impact sur les mentalités des sociétés occidentales durant un quart de siècle fit reléguer l’autotransfusion à l’arrière plan des préoccupations des transfuseurs, surtout dans les pays occidentaux. Il faut citer la grande loi du 21 juillet 1952 et les décrets d’application du 16 janvier 1954 sur la transfusion sanguine en France mettant en place des centres de transfusion sanguine, écartant les industriels de la production pour des raisons éthiques mais aussi les écartant de la recherche en transfusion sanguine.
Il faut attendre le conflit vietnamien, par les besoins qu’il crée, pour que de nombreux auteurs ré envisagent le problème de l’autotransfusion, d’autant que le développement technologique, surtout en chirurgie cardio-vasculaire, permettant de disposer de circuits extracorporels fiables, facilite énormément ce nouvel essor. Ainsi Klebanoff, chirurgien de l’armée américaine au Vietnam, réalise dès 1970 de nombreuses séries d’autotransfusions pour des interventions abdominales et thoraciques, faisant suite aux blessures de guerre. Il utilise un matériel dérivé des circulations extra-corporelles, basé sur le principe des pompes époque, de très nombreuses expériences sont rapportées aux USA comme celles de Symbas, Bonnet, Dowling, Brener
Le congrès de Bordeaux de 1979 faisait une remarquable mise au point sur les différents systèmes utilisés et mis au point dans les années précédentes. Ceux ci sont schématiquement décrits comme suit :
a. Les systèmes élémentaires.
Recueil du sang épanché à la seringue, à la cuillère, filtration à la compresse et conservation dans des flacons de verre après addition de citrate de sodium (Bourrel, Chinkarev, backer-grondahl, Tixier).
b. systèmes utilisant le vide chirurgical :
Le plus simple est décrit par Symbas à partir de 1966,d’autres par Kahn, Ferrara et Lamm, Pathak et Stewart : le sang est recueilli dans un flacon en verre par un tuyau branché sur vide aspiratif et anticoagulé par héparine, ACD ou CPD.
Le Viavec Unit mis au point par Mattox (1974) est un système en polyvinyle plus sophistiqué.
Le système Sorenson mis au point par Noon ( 1976 ) et complété par Dyer
Ces systèmes ont abouti dans la version la plus achevée au Constavac.
c) Les systèmes à pompes à galets
dérivés des circulations extra corporelles (1968 par Klebanoff et Watkins commercialisé par les laboratoires Bentley ).
Figure 3 : Système Bentley
d) Les systèmes avec lavage globulaire :
En 1968 deux urologues de la Mayo Clinic à New ? ??York Wilson et Taswell mirent au point un montage capable de séparer par centrifugation les globules rouges du plasma des liquides d’irrigation. Les hématies étaient ensuite lavées avant d’étre retransfusées.
En 1974 Watson et Williams utilisent pour les mémes fonctions (centrifugation et lavage ) un appareil à plasmaphérèse modifié : le cell-saver.
Conclusion
A la fin de la 3ème révolution biomédicale, en attente de la 4ème (génie génétique et sang artificiel).
Après le congrès de Bordeaux et de nombreuses publications sur le sujet de la transfusion autologue per-opératoire ou différée, les responsables de la transfusion sanguine en France prennent conscience de son actualité, une remarquable mise au point est publiée dans la « revue française de transfusion et immuno-hématologie » organe officiel de la société française de transfusion sanguine en 1980. La commission consultative nationale de la transfusion sanguine, au décours d’une réunion en 1981, prend acte du rapport qui lui a été soumis.
La circulaire du 28 aoà »t 1987 signale « que dans certains cas précis la transfusion autologue peut étre envisagée ».
Elle est suivie par la circulaire du 3 juillet 1990 « relative à la transfusion autologue en vue d’une intervention programmée » et définie le champ des responsabilités entre anesthésistes et transfuseurs
Sources
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