B. WEBER (Paris) - SFAR - 2003
En 1960 les difficultés de publication auxquelles se heurtent Laborit, malgré le soutien permanent de Masson, et Huguenard, rédacteur en chef d’Anesthésie, analgésie, réanimation, en conflit avec le président de la Société française d’anesthésie les amènent à improviser un nouveau journal qu’ils intitulent Agressologie. Son contenu, par choix délibéré des deux parrains, est partagé équitablement entre travaux expérimentaux et données cliniques ; son objet, que résume le titre, rassemble toutes les situations d’urgence dont la gravité menace à court terme les fonctions vitales.
Son public, dont une bonne part vient d’Anesthésie, analgésie, réanimation , y cherche (et y trouve) l’actualisation de connaissances en évolution très rapide, concepts, données, techniques et de nombreuses analyses bibliographiques récentes. Les anesthésistes n’en sont cependant pas les seuls lecteurs dont le groupe se présente comme une "école", une bande diraient certains pour ne pas aller jusqu’à secte ce qu’on laisse parfois entendre à l’époque.
Son comité de rédaction est international, appuyé sur le réseau d’amis de Laborit que ses travaux sur le choc et l’hibernation artificielle ont amené dans de nombreux pays, communistes y compris. Selye pourtant refuse son patronage, non pas qu’il récuse les résultats de Laborit ; mais il craint de voir s’installer une confusion entre le "stress", syndrome non spécifique, d’apparition lente, résultant d’agressions minimes et répétées, caractérisé par des lésions histologiques d’une part et la ROPA (réaction organique à l’agression), d’évolution rapide, mettant immédiatement en jeu le pronostic vital d’autre part : les deux comportent en effet une séquence hypophyso-cortico-surrénalienne. (L’extension brouillonne du sens du mot stress mériterait qu’on retourne à ces sources à la lumière des connaissances actuelles). Internationale se veut aussi la diffusion ; ce sera un peu plus tard la seule revue médicale -et probablement biologique- dont les résumés sont systématiquement traduits en Français ou Anglais selon que l’article est rédigé en Anglais ou Français et en Allemand, Espagnol et Russe. Les délais qu’impose le réseau de correspondants bénévoles qui assurent ces traductions y feront assez vite renoncer pour ne garder, ce qui n’est encore pas fréquent à l’époque, que la séquence franco-anglaise.
La ligne éditoriale suit bien évidemment la progression des travaux du laboratoire d’eutonologie, à Boucicaut, d’autant plus que dès la deuxième année de parution, les cliniciens proposent un tel nombre d’articles, certains contestant en outre l’intérét de la vision généraliste que défend Laborit, que les anesthésistes fondent une revue spécifiquement clinique, les Annales de l’anesthésiologie française. Mais, généraliste, Agressologie reste attentive à des originalités qui trouvent rarement l’occasion de se manifester dans d’autres publications. Ce qui a conduit assez rapidement à consacrer des numéros à thème. Certains resteront épisodiques, trop particuliers ou suffisamment en avance pour que le relais soit pris ultérieurement par d’autres : Analyse automatique du signal électrobiologique ; Consultation d’anesthésie ; Anesthésie électrique ; Acupuncture en anesthésie ; Monitorage EEG de l’anesthésie€¦ D’autres, comparatifs, se veulent au service des réanimateurs-anesthésistes utilisateurs de matériels : respirateurs, capnographes, pompes de perfusion. Certains assumeront les publications de sociétés trop jeunes pour avoir leur propre journal et qui, par la suite, prendront leur indépendance. C’est d’abord le cas de Psychologie médicale dont le congrès publié par Agressologie a donné au publicitaire de la revue, J Guillaume, l’idée de créer de toutes pièces le journal qui portera le méme nom, dont il copiera la présentation, les recommandations auteurs et les habitudes ; c’est celui des anesthésistes de neuro-chirurgie .C’est enfin le cas de deux groupes de recherche dans la ligne de cette politique éditoriale mais inhabituels en anesthésie. Agressologie a publié les deux premiers congrès consacrés à "psychologie et réanimation" à la suite desquels est né le REIRPR Réseau européen interdisciplinaire de recherches en psychologie et réanimation qui publie son bulletin Les cahiers du réseau et parmi d’autres ouvrages Pour une histoire de la réanimation. Le second groupe, sans rapport immédiat avec l’anesthésie-réanimation a trouvé son expression, pour des raisons de circonstances, dans Agressologie. Il s’intéresse aux mécanismes et aux dysrégulation de la station érigée ; il est devenu un groupe structuré qui publie ses congrès annuels en collection, Posture et équilibre et assure l’enseignement d’un diplôme inter-universitaire de posturologie clinique.
Cette aventure de trente ans ne serait plus possible aujourd’hui sous cette forme. Elle a permis à l’équipe rassemblée autour de Laborit d’exprimer des résultats et des opinions en marge des convenances : avantage dans la mesure où persistent des traces qui auraient disparu sans cela ; inconvénient en soustrayant cette équipe aux règles impératives de Comités de lecture dont le travail contribue à l’édification d’une pensée partagée sinon conforme.