A la Renaissance, Lyon avait connu un éclat particulier grâce à ses activités bancaires et d’imprimerie sans oublier le travail de la soie qui la mettait en relation directe avec de grandes villes italiennes, mais en ce premier quart du XVII ème siècle de mauvaises récoltes, des conflits locaux favorisant des passages de troupes l’avaient beaucoup affaiblie au point qu’elle devint une proie facile pour la peste qui sévissait alors aux alentours. Dès 1626, le bureau de la santé, créé en 1577 lors d’une précédente épidémie, interdit l’entrée de la ville à toute personne ou produit venant du nord ou de l’est de la France.
Cependant, dès aoà »t 1628 la peste se manifesta en ville et en octobre il n’y avait pas moins de 6000 pestiférés enfermés dans l’hôpital Saint Laurent des Vignes, hors les murs, outre 2000 quarantains et de nombreux malades signalés comme étant restés chez eux. Début novembre, on comptait entre 300 et 400 décès quotidiens, puis fin décembre, l’hôpital n’avait plus que 800 personnes et la quarantaine 200 autres. A partir de janvier 1629, le mal déclina jusqu’à disparaître l’été suivant. Quinze à vingt mille personnes furent atteintes dont la majorité succomba : on estima alors que cela représentait la moitié de la population lyonnaise.
Dès les prémices du mal dans la région, les riches citadins s’installèrent à la campagne, laissant leurs activités entre les mains de ceux qui n’avaient pas d’autre toit ailleurs qu’en ville.
La lutte contre la peste prit essentiellement deux aspects : à une organisation administrative rigoureuse concernant la désinfection des lieux, -l’hospitalisation des malades et l’enterrement des morts, s’ajoutèrent des soins, héritiers d’une longue expérimentation de l’épidémie et en totale ignorance ou presque de la réalité médicale.
Par pragmatisme, le premier soin consistait à isoler les malades dans l’hôpital Saint Laurent des Vignes à proximité de la Saône pour faciliter le transport des malades et l’approvisionnement en eau de l’hôpital.
Outre le bureau de la santé, une commission sanitaire créée en 1581 donnait au Prévôt des marchands et des échevins €“ la municipalité €“ toute autorité pour organiser le combat contre ce mal « qui répand la terreur ».
Au printemps 1628, cette commission comprenait six personnes dont un médecin responsable des seize autres répartis dans la ville par quartier. En septembre, quatre autres commissaires furent nommés avec, chacun, une responsabilité très précise.
Au plus fort de l’épidémie les médecins lyonnais ne suffirent pas et on fit appel à d’autres spécialistes dont Henry de Rochas, médecin de la princesse de Conti, qui avait mis au point un parfum efficace pour lutter contre le mauvais air. En effet, le parfumage avant, pendant et après l’épidémie était une opération essentielle. Dès la mi-aoà »t 1628, la commission sanitaire exige « de tenir les rues et autres lieux publics propres€¦ y faisant des feux en bois de genièvre et autres imbus d’huile de cade et du soufre en poudre ». Il convenait aussi « de porter sur la région du coeur des sachets €¦ remplis de poudres aromatiques » en particulier « de la racine de zédoaire, du bézoard, de la corne de licorne, des tuyaux de plume remplis de vif argent ou encore des pentacules, médailles enfermées entre deux cristaux, entourées d’or ou d’argent ou de draps ». Il convenait également « avant de sortir, de tenir en sa bouche un peu d’angélique ou de conserve d’enula campana €¦ de prendre le matin un jus d’oignon avec du vin blanc, de se nourrir sobrement, d’user de bonnes viandes assaisonnées de jus de salette ou d’oseille €¦ de se laver souvent la bouche, le visage avec deux parts d’eau de rose et une de vinaigre rosat ».
Toute précaution prise, si le mal néanmoins ( !) apparaissait, le principe thérapeutique de base était d’éliminer le poison par des sudorifiques et des cataplasmes à base d’huile de camomille, d’essence de thérébenthine, de rue, de sauge, sureau infusé dans du vin blanc ; on couvrait bien le malade tout en lui administrant des laxatifs à base d’huile de lin, de coloquinte, de sirop de grenade ou de rose et en lui donnant de la thériaque composée d’une soixantaine de produits d’origine animale, végétale et minérale. L’opium, la chair de vipère séchée, le sang de dragon, l’huile de scorpion étaient aussi indispensables à la composition de ce médicament.
Mais l’homme indispensable en ces circonstances était le chirurgien . Barbiers à l’origine, ces praticiens savaient manipuler ciseaux, lancettes et pincettes pour inciser au fer rouge les bubons. Parfois, on plaçait des ventouses sur le bubon. Les plaies étaient ensuite aseptisées avec des onguents à base d’acétate de cuivre et de poudre de mercure. On les pansait et embaumait « avec du benjoin et du cérat ».
Parallèlement, on pratiquait des saignées et afin de ne pas épuiser le malade on lui administrait des « potions cordiales » comme de l’eau de mélisse, de l’eau de scabieuse, du suc d’oseille, du sirop de citron ou tout autre produit à base de cannelle, romarin, camphre et basilic€¦ le tout étant accompagné d’une solide nourriture à bas de viande et de vin.
Une quarantaine de convalescence s’imposait ensuite à ceux qui, comme le père Grillot, avaient survécu à la maladie et à ses soins ! La quarantaine pour les « suspects » de maladie et les personnes délivrées de la peste fut installée dès le 20 aoà »t 1628. L’ensemble porta le nom de « Fleur de Lys » et comprenait : « le corps de logis de Gadagne » et des cabanes en bois jouxtant Saint Laurent. Il y eut également une quarantaine à la garenne d’Ainay située hors des remparts.
Dans le méme temps, en ville, des parfumeurs désinfectaient les appartements et leur contenu en faisant brà »ler des aromates dans de nombreux brà »le - parfums selon la recette suivante : « Prenez bois et feuilles sèches de genièvre, charbon de saule, de chacun quatre livres, gomme de genièvre, graine d’iceluy, graine de laurier et de mirthe, encens, mirthe grossière de chacun demi - livre, feuilles sèches de laurier, d’horigant, d’absinthe, de sauge, de lavande, de romarin, de chacun une livre, noix de cyprès, benjoin grossier, résine de pin, ambre jaune, de chacun quatre onces, bois d’aloès, thérébenthine, serpolet, thym, fleurs de roses, de chacune deux onces €¦ le tout pulvérisé sera réduit en pâte avec suffisante quantité de gomme dissoute en deux parties eau de rose, de laquelle pâte se feront tronsiquer en pastilles d’une once chacune, de demi €“ once et d’un quart d’once pour s’en servir au besoin, en mettant un ou deux ou plus ou moins sur les charbons ardents pour en faire recevoir la fumée ». On passait aussi les murs à la chaux tandis que les vétements étaient manipulés avec des pinces et jetés dans l’eau bouillante.
Pour toutes ces opérations médicales, chirurgicales et de parfumage, un costume était obligatoire : un habit tout en cuir des pieds à la téte créé par Charles Delorme, premier médecin de Louis XIII, dans son « Traité de la peste ». Le nez en forme de bec est rempli de parfums et oint intérieurement de matières balsamiques €¦ sous le manteau, on porte ordinairement des bottines, des culottes de peau attachées audites bottines et une chemise de peau unie dont on referme le bas dans les culottes, le chapeau et les gants sont aussi de méme peau de « maroquin du levant ».
Lorsque les costumes ne suffirent plus, on utilisa « des casaques de treillis noir avec une croix blanche devant et derrière » et à défaut de masque « sous la cagoule une éponge imbibée de vinaigre à hauteur du nez » tout en mâchant un fragment de racine d’angélique €¦
A tous ces soins s’ajoutèrent les prières adressées en particulier aux saints de la peste, Saint Roch et Saint Sébastien, le voeu à Notre Dame de Lorette et c’est en souvenir de cette peste, dont la délivrance fut attribuée à la mère du Christ, que fut élevée à partir de 1870, la basilique de Notre Dame de Fourvière. Par ailleurs de nombreux religieux se mirent au service des pestiférés pour aider à les soigner, pour parfumer et, bien sà »r, pour enterrer !
Quelle perception avait-on alors de la douleur ? Aucun texte ne développe ce problème car ce n’est pas tellement la souffrance qu’il fallait alors vaincre mais l’épidémie.
« L’hôpital était si fort peuplé €“ écrit le père Grillot, rare témoin capable de raconter comment il avait survécu €“ que non seulement les chambres étaient pleines mais la cour et les jardins tous couverts de ces pauvres gens couchés les uns sur les autres, exposés aux injures de l’air, accablés de faim et de douleurs si cuisantes ! »
En effet, saint Laurent conçu pour héberger 6 à 800 malades, en reçut jusqu’à 6000 !
Au lieu de quatre, comme à l’ordinaire, on couchait jusqu’à six ou huit personnes dans le méme lit, le sol était jonché de pauvres hères délirants et l’encombrement était tel que le personnel soignant avait peine à se frayer un passage : « si nos religieux voulaient confesser quelqu’un €“ rapporte le Père Michel €“ Ange Bergon €“ il fallait la nécessité de marcher par dessus les corps morts et souvent préter l’oreille au pénitent il fallait que ce fut à la faveur de ces corps puants et hideux qui leur servaient d’accoudoir ».
Dans une chambre voisine étroite, se tordaient de douleur et de fièvre cinquante malades, serrés les uns contre les autres « avec des postures si extraordinaires €“poursuit le Père €“ des mouvements si différents, des actes de contrition si sensibles » €¦ que les coeurs les plus durs auraient aussi soufferts à la vue d’un tel spectacle €¦
Dévorés jusqu’aux entrailles par une soif ardente, des pestiférés se roulaient sur le sol en demandant à grands cris un verre d’eau ; d’autres en proie au délire se dressaient sur leur grabat, le visage blafard, les yeux rouges et exorbités, poussant de profonds gémissements avant de tomber raides morts. Le comble de l’horreur fut atteint quand au plus fort de l’épidémie, on fabriqua des cabanes avec des cadavres €¦ en ville, nombreux furent ceux qui répondirent par le suicide à la souffrance « telle femme frénétique se jeta dans un puit », telle autre dans la Saône €¦ on vit un couple se coudre dans un méme linceul pour ne pas étre désuni dans la mort. Beaucoup furent enterrés « tous vifs alors qu’ils étaient en quelque pâmoison ordinaire de cette maladie ».
La douleur était donc omniprésente et évidente mais le personnel était avant tout soucieux d’épargner les morts quelles que soient les souffrances et plus encore de limiter la propagation de « la contagion ».
Les conséquences de cette épidémie lyonnaise furent catastrophiques sur les plans démographiques et économiques ; cette peste permit néanmoins de renforcer la prévention sanitaire si bien que la ville n’eut plus jamais à souffrir d’une telle catastrophe.
La dernière des grandes pestes en France eut lieu €“ c’est bien connu €“ à Marseille en 1720. Le mur de la peste élevé entre Bonpas et Sisteron n’empécha pas l’épidémie de remonter la vallée du Rhône et de sévir jusqu’en Grésivaudan, frappant 146 localités et tuant plus de 120 000 personnes. Il fallut attendre février 1723 pour que les mesures diverses d’isolement cessent et que le fléau disparaisse pratiquement de notre pays.
Bibliographie
I €“ Les sources
– Archives Municipales de Lyon : AA 118 ; série BB : 174, 175, 209 ; série GG : 1-2-7-19-20-21-22-47-50-56-57-121-148.
– Manuscrits de la bibliothèque municipale : Fonds Coste n°466 ; Fonds général n°1445, 1716.
– Registres paroissiaux
- De la Platière : 289-290-291
- Saint-Paul : 442-445-446-447-448
- Saint-Georges : 528-531-532-533
- Saint-Pierre et Saint-Saturnin : 568-569-570-571-572-573-579-580
– « Advis salutaire contre la maladie épidémique » Lyon 1628 €“ in 16
– Chevalier G. « L’ordre public pour la ville de Lyon pendant la maladie contagieuse » Lyon €“ Simon Rigaud, 1644 €“ in 12
– Père Jean Grillot « Lyon affligé de contagion » Lyon €“ François de la Bottlère, 1629 in 16
II €“ Divers
– Biraben J.N. « Les hommes et la peste en France, dans les pays européens et méditerranéens » Mouton 1973
– Croze A. Nombreux ouvrages sur l’histoire hospitalière lyonnaise
– Guiart J. « La peste à Lyon au XVII ème siècle. Biologie médicale. 1929
– Hours H. « Lyon et la médecine ». 1958
– Latreille A, Laferrere M, Audin A, Fedou R, Gascon R, Garden M, Garrier G. « -Histoire de Lyon et du Lyonnais ». Privat 1958
– Mollaret H. H. et Brossolet J. « Yersin » Fayard, 1995