J’étais ce jour là de garde, et après l’interrogatoire et l’examen clinique il fut admis dans le service de médecine où j’accomplissais alors mon 1er semestre d’Internat. Dans les heures suivantes, la diarrhée continuait au point que je demandai aux infirmières de garder les selles dans un bocal à urines pour en mesurer l’importance. Et au bout de quelques heures le bocal était plein !
J’informai le patron de la présence de ce patient qui dépassait totalement mes compétences à l’époque (1965) le programme de l’internat ne comportait en matière de réanimation que "le poumon de choc", du moins c’est tout ce dont je me souviens aujourd’hui.
Le Patron examina longuement et soigneusement le jeune malade et à la fin de cet examen clinique il prononça ces mots définitifs :
"je ne sais pas ce que c’est, mais je sais que c’est mortel."
Dans les heures suivantes la diarrhée continuait, sans relâche, blanchâtre, mousseuse, le deuxième bocal se remplissait inexorablement.
Entre deux malades je retournais dans sa chambre et cherchais désespérément des solutions. Nada ! aussi bien à la bibliothèque qu’en salle de garde, ou qu’au labo. Et bien sà »r les paroles terribles du Patron me poursuivaient. Est ce qu on peut ainsi se vider de son milieu intérieur, sans compensation adaptée ? Combien de temps cela pouvait durer ? je ne comprenais qu’une seule chose, il y avait URGENCE.
J’eus alors l’ IDEE :
Un de mes camarades de sous-colle, Matuchanski, venait d’intégrer un des tout-premiers services de réanimation digestive, à l’hôpital Fernand Widal, annexe de Lariboisière, mieux connu comme centre anti-poison.
Matuchanski était de cette espèce rare, déjà très fort en médecine et passionné. Il écouta et proposa de le prendre dans "son" service immédiatement. Et sans méme songer à demander l’autorisation du Patron le transfert fut réalisé dans l’après-midi méme.
Quelques jours plus tard , je sus que le patient était sorti sur ses jambes et que le camarade Matuchanski était déjà un grand médecin.